Un typhon, -phon, -phon...

Arthur habite avec sa femme Hiromi et leur fille de 7 ans Arrissa a Oki, un village rattache a Tosa Shimizu. Leur maison trone au sommet d’une falaise, au milieu d’une vegetation luxuriante et ou, la nuit, vous etes berces par le bruit des vagues dans votre sommeil. En somme, un petit paradis. Ils habitent la region depuis une quinzaine d’annees et ont fui le stress de la grande ville. La vie ici est bien plus paisible et bien plus detendue. Oki hama (hama pour plage) s’etend au pied de la falaise ou vit Arthur et sa famille et voit de nombreux surfers la cotoyer quotidiennement, une autre preuve de l’attitude « relax » de la region.

Le soir ou j’arrive a Tosa Shimizu, Arthur doit faire une presentation publique de son experience a Ishinomaki a la mairie. Je l’accompagne evidemment pour l’occasion. La salle est comble, et pour cause, Tosa Shimizu est fortement exposee a un risque de tsunami (comme l’est toute la cote sud de Shikoku). Cependant, il n’existe aucune veritable procedure d’urgence ou d’evacuation de la ville car la population est peu sensibilisee a un tel risque. La presentation a donc pour but, non seulement d’informer sur la situation apres le tsunami dans le nord est du pays et d’inciter de nouveaux volontaires a se declarer, mais aussi a faire prendre conscience de l’interet vital de mettre en place les moyens necessaires a la protection de la ville contre un eventuel tsunami et de l’instauration d’une procedure d’evacuation.

Les deux jours suivants, je reste en compagnie d’Arthur, Hiromi et Arrissa. Ma curiosite insatiable melee a l’affabilite et l’erudition d’Arthur sur la culture japonaise me permettent d’approfondir ma connaissance du pays. Arthur a en effet etudier les cultures asiatiques a l’universite, parle japonais couramment, a vécu dans le pays plus d’une quinzaine d’annees et a eu une vie riche en rebondissements, ce qui lui permet d’avoir un regard objectif sur le Japon, ses us et ses coutumes. Hiromi, qui est professeure d’anglais comme son mari, partage egalement avec moi ses reflexions sur son propre pays. Les evenements lies au tsunami du 11 mars dernier et notamment l’accident nucleaire de Fukushima ont mis a plat beaucoup de sujets sensibles dans le pays tels que la corruption et l’opacite dans la politique japonaise. Selon Hiromi, un changement est en train de se produire dans la societe nippone et Fukushima en serait le declencheur. Il faut maintenant voir jusqu’ou poussera cette vague de changement et ce qu’elle induira.

J’en profite au passage pour faire deux presentations de mon voyage dans la classe d’Hiromi et je suis toujours interesse de voir a quel point les eleves sont heureux de decouvrir qu’il existe un monde en dehors de leur pays, ou meme de leur propre ville. C’est comme un voile opaque qui serait leve sur un paysage inconnu qui n’attend que d’etre explore. Ce paysage n’est generalement pas plus joli ou plus laid que celui dans lequel ils vivent, il est tout simplement different. On peut ne pas l’aimer mais le plus important est de tacher de le comprendre et d’en accepter les differences lorsqu’elles sont endemiques ou de les rejeter lorsqu’elles sont montees de toute piece au detriment du "paysage" en lui-meme et de ses habitants. Se forger un esprit critique et independant aux penchants pacifiste et egalitaire, un ideal maintenant relegue aux oubliettes par l’education moderne.

Dans la classe d'Hiromi - Tosa Shimizu

Le reste du temps, je visite la region et je me regale de la cuisine d’Hiromi. J’accompagne Arthur jusqu’au cap ou je visite mon premier temple inscrit sur la liste des 88 du pelerinage de Shikoku. Et pour les remercier de me recevoir, j’y vais aussi de mon petit repas a la francaise avec saumon aux epinards et clafoutis tatin. J’ai laisse mes crepes de cote pour l’occasion et a ma grande surprise ce fut bon. Egalement une soiree chez Ike-san, un architecte excentrique et attachant qui a fait le tour du monde dans sa jeunesse et qui fabrique sa propre biere, ce qui en fit immediatement mon ami. Enfin, la veille de mon suppose depart, Arthur m’annonce qu’une enseignante d’anglais en place a Shimizu et originaire des Etats-Unis est subitement tombee en depression et quitte la ville. L’ecole a besoin d’un prof d’anglais pour un mois et ca pourrait tres bien etre moi si la mairie et l’ecole me donne le feu vert administratif. Lorsqu’Arthur me demande si ca m’interesse, je reponds evidemment : « Pourquoi pas ? » A savoir qu’au Japon, on considere toute personne etrangere comme sachant parler anglais parfaitement. Ce n’est pas mon cas meme si je le parle couramment, mais c’est toujours mieux que la plupart des professeurs japonais qui n’ont jamais mis un pied en dehors du Japon et qui ont, dans 5% des cas, adresse deux fois la parole a un gaijin dans leur vie. C’est pourquoi la situation presente est envisageable dans un pays comme le Japon mais ne pourrait ne serait-ce qu’etre imaginable dans un pays europeen.

Chez ike-san - Tosa Shimizu  Un banc de pelerins - Ashizuri misaki  Ashizuri misaki

Bref, pendant que l’administration reflechit a cette solution, je pars planter la tente pendant deux jours a une quinzaine de kilometres de la, en bord de mer. J’espere faire un peux de plongee pour voir le corail et la faune marine qui abondent en ces fonds. Pas de chance, le temps se degrade et la mer se fait houleuse. Je passe deux jours dans ma tente a bouquiner tandis que la pluie et le vent mettent a mal sans discontinuer mon pietre refuge. Lorsque je retourne chez Arthur, le temps est au typhon (nombreux en cette saison) et en moins d’une heure je me fais completement rince avant d’arriver a Tosa Shimizu apres un penible voyage. Ce qui est bien avec le Japon, c'est qu'on n'a pas le temps de s'ennuyer, il y a toujours une petite catastrophe naturelle pour animer les soirees! En rentrant, Arthur m’informe que les habituels « trop complique » et « pas possible » ont pris le pas sur mon « pourquoi pas ? », ce qui ne m’etonne guere, et que je pourrai poursuivre ma route le lendemain. Pourquoi faut-il toujours que la paresse, le manque d’imagination, l’immobilisme et la couardise l’emportent sur l’enthousiasme, la debrouillardise, le courage et la bonne volonte ?

Ruche de roche - Shikoku  Cote dans le mauvais temps - Shikoku

Je m’en irai donc le lendemain. Arthur m’informe cependant qu’un typhon, dont la pluie et le vent les jours precedents n’etaient que des signes avant-coureurs, se rapproche de la cote. Il me propose de m’emmener jusqu'à Kochi ou il doit visiter des amis depuis plusieurs semaines. Passer deux jours sous la pluie en plein typhon n’est pas une perspective enchanteresse et j’accepte volontiers. Le lendemain matin, je remercie grandement Hiromi pour son accueil et salue Arrissa qui a ma grande surprise eclate en larmes au moment de la quitter. Adorable petite fille…

Arrissa et Choukrane - Tosa Shimizu  Arthur, Arrissa, Hiromi et moi - Tosa shimizu

Avec Arthur nous parcourons donc les 140 km qui nous separent de Kochi en poursuivant nos echanges eclaires (ou du moins le crois-je). La cote ne m’offre pas grand-chose a voir si ce n’est un epais rideau d’eau qui tombe sur une encore plus grande etendue d’eau. En fin de journee, nous sommes recus par Yukio et Ikuko Soga, un couple de professeurs a la retraite, bons amis d’Arthur et d’Hiromi. Nous passons la nuit chez eux. Arthur nous quitte dans la journee le lendemain apres avoir fait un tour de la ville en ma compagnie (et en voiture vu le temps).

“Arthur, Hiromi and Arrissa, thank you so much again for your hospitality and generosity. Hope to see you in France and to host you when you come to visit my country!”

Le typhon annonce semble n’etre en fait qu’une bonne tempete avec grand renfort de vent et de pluie selon Ikuko. Generalement, le vent est bien plus violent et la pluie peut etre plus drue. Pendant que la tempete sevit, Yukio m’enseigne le jeu de Go. Anciennement cree en Chine, il etait largement repandu au Japon et reserve a l'aristocratie. Une grande abilite a ce jeu etait l’apanage des meilleurs strateges. Le principe est simple, les pions noirs doivent encercles les pions blancs et vice versa. Celui avec le plus de pions encercles perd la partie. Les strategies de jeu sont quant a elles quasi infinies et les parties peuvent durer des heures. Apres 35 ans de pratique et des heures d’etudes, Yukio a acquis une large connaissance du jeu. Ses conseils sont precieux pour me permettre de debuter correctement.

Drole de cafe... - Kochi  Let's GO! - Kochi

Le soir venu, Yukio et Ikuko joignent leurs talents pour nous mitonner une veritable festin. Je suis assigne au desert et prepare un gateau. Lorsque je dois partir le lendemain, le ciel est parfaitement clair, l’air nettoye de toute impurete apres le passage du typhon et la mer est anormalement claire. Yukio tient a me montrer son « cottage » dans la montagne a 30 km de Kochi qu’il a presque entierement construit seul. Nous laissons derriere Ikuko et partons en camionnette. La petite maison est complement isolee au bout d’un chemin qui serpente plusieurs kilometres a flanc de montagne. Perdu au milieu des bois, l’endroit est d’un calme implacable, frais et vivifiant. Yukio et Ikuko le visitent presque chaque week-end.

Yukio, Ikuko et moi - Kochi

Il est deja midi et je dois reprendre la route. Yukio me laisse sur la route principale d’où je vais pouvoir m’elancer pour mon dernier trajet avant d’atteindre Kobe dans quelques jours.

“Yukio, Ikuko, arigato gozaimasu ! It was great to meet you and I hoped the typhoon was longer to stay stuck in your nice house more time!”

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