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Welcome to muddy Ishinomaki...

Le soir du depart pour Ishinomaki, une centaine de volontaires est regroupee devant l’entree des locaux de Peace Boat a Takadanobaba-Eki. La plupart des volontaires sont japonais, il n’y a qu’une dizaine d’internationaux et tous vivent au Japon depuis plusieurs annees. Enfin presque tous, puisque le groupe compte egalement un « crazy French » desireux d’aller aider les habitants d’un pays dans lequel il ne se trouve que depuis quelques jours ; au grand dam de ses parents dont il comprend l’inquietude, menace nucleaire oblige. Son point de vue est qu’on ne peut recevoir en permanence sans jamais donner en retour. Il a ete recu durant tout son voyage en hote de marque par des inconnus du monde entier, aujourd’hui c’est le moment de renvoyer la balle et d’aider dans la mesure de ses moyens d’autres inconnus dont il ne parle pas la langue mais partage la detresse.

Apres avoir charge les camions en vivres et en produits divers pour les refugies d’Ishinomaki, il est temps de monter dans les deux bus affretes pour le transport des volontaires. Pour ma part, je monte dans le minivan de Rob qui met sa voiture a disposition de Peace Boat. J’ai mon permis international et je pourrais conduire si Rob a besoin de repos. Je n’ai jamais conduit avec le volant a droite, ce serait une premiere. Nous quittons Tokyo peu avant minuit et roulons tranquillement en direction du nord. J’apprecie la discussion avec Rob, un anglais emigre au Japon depuis une dizaine d’annees, ancien adepte du surf sur l’ile de Kyushu, professeur d’anglais a ses heures et libre-penseur. Nous ne voyons pas le temps passe et notons a peine notre passage par la ville de Fukushima, a une cinquantaine de kilometres de sa tristement mediatique centrale nucleaire. Il est 6h du matin quand nous arrivons au campus de l’universite Senshu d’Ishinomaki, QG des differentes ONG venues en soutien a la population de la ville. L’armee n’est pas loin non plus et a elu domicile pres du stade municipal. Cette partie de la ville a ete epargnee par le tsunami et ne presente pas de sequelles du desastre survenu trois semaines plus tot.

Repos de 2h a l’arriere du van en attendant l’arrivee des bus. Ensuite, mise en place du campement par equipe et premiere reunion d’information.

Team 2.16, first meeting - Ishinomaki

Premiere constatation : Peace Boat est plutot bien organisee malgre leur arrivee la semaine precedente sur le site. L’ONG possede un entrepot ou sont stockes tous les biens disponibles pour les habitants d’Ishinomaki, elle est en relation avec les differents corps d’interventions sur place et les centres de refugies et possede une petite flotte de vehicules particuliers venus faire la navette entre le campus et la zone cotiere ou le tremblement de terre et le tsunami ont fait des ravages. La reunion nous apprend qu’outre les personnes refugiees dans les centres, beaucoup d’autres sont encore en ville, disseminees un peu partout et qu’il est parfois difficile d’acceder jusqu'à eux. Ensuite, bien que les routes commencent a etre degagees, il est encore difficile de circuler en ville en vehicule et la marche reste le moyen de locomotion privilegie. La region est en penurie d’essence donc ca ne tombe finalement pas si mal… Les taches principales des volontaires sont les suivantes :

-          Preparation de nourriture pour les refugies et habitants isoles d’Ishinomaki

-          Distribution de la nourriture

-          Gestion de l’entrepot et de son contenu

-          Distribution des produits contenus dans l’entrepot

-          Nettoyage de la ville recouverte de boue et de debris apres le passage du tsunami

L’organisation du travail des volontaires est effectuee par un staff compose de quelques anciens de Peace Boat et chaque equipe compte un referent (ou « leader ») dans ses rangs pour faire la liaison. Mon equipe est assignee au nettoyage de la ville le premier jour. Nous nous rendons sur place peu apres midi.

Les equipes comptent six membres. La mienne est internationale. Rob, que j’ai deja presente, est anglais et est l’esprit pose du groupe avec neanmoins son petit grain de folie. Lalo est argentin, c’est notre chef cuistot et potentiel physique du groupe du haut de ses 106 kg. Tim est vietnamien et possede un certain talent pour le sarcasme et la finesse. Whitehouse est anglais comme Rob et pourrait etre caracterise de dandy au cœur tendre. Yudai est japonais, c’est notre leader, il est organise, est tres bon communicant et excellent compagnon. Et enfin moi-meme que vous avez appris a connaitre au fil de ces mois de voyage. En milieu de semaine viendra s’ajouter Arthur, un autre professeur d’anglais made in UK et grand amateur des cultures asiatiques.

Team 2.16 - Ishinomaki

Alors que nous quittons le campus en voiture, nous entrons peu a peu dans la zone sinistree. Gaves d’images du desastre depuis plusieurs jours par les medias, nous ne pouvons cependant eviter d’afficher notre ebahissement  face a l’ampleur des degats. Des debris jonchent de partout la ville, les voitures sont renversees ou encastrees dans des centimetres de boue, des maisons sont effondrees, des bateaux cotoient les debris en plein milieu de la rue, bref, l’apocalypse. Ensuite, la vision des habitants battant tranquillement le pave, ou circulant en velo dans la ville, atenue rapidement cette sensation de fin du monde. Nous arrivons dans le quartier de Chobu ou l’on nous assigne au nettoyage d’une maison ou resident une vielle dame et sa fille. L’acces a l’entree de la maison se fait a travers une allee surchargee de debris. La vision de l’interieur de la maison est encore plus etourdissante que celle des rues devastees. Tout est recouvert de boue et mis sens dessus-dessous. L’effet est atterrant. Il s’agit d’un espace si personnel, si intime, que savoir que ces femmes ne pourront jamais plus y chercher refuge ou y vivre des moments de bonheur dans la plus grande simplicite vous emplit d’un sentiment de vacuite etrange.

Street boat - Ishinomaki  Voie sans issue - Ishinomaki  Volontaires et habitants - Ishinomaki

Pourtant, les deux femmes nous accueillent avec le sourire auquel nous repondons avant de nous mettre au travail. Il ne s’agit pas simplement de tout evacuer a l’aide de pelles et de brouettes, mais aussi (et presque surtout) de recuperer avec le plus grand soin ce qui peut encore etre sauve et de ne pas jeter parmi les debris certains objets personnels que nous aurions tendance a considerer comme de simples dechets vu leur etat. Le travail de quelques heures d’une equipe de six hommes (jeunes et robustes dans notre cas) peut parfois equivaloir a deux semaines de travail solitaire d’une de ces femmes. C’est grace a ce genre de raisonnement qu’un volontaire arrive a considerer son travail comme « utile », ce qui est parfois difficile devant l’ampleur du travail a accomplir. L’Omotenashi seishin japonais (esprit hospitalier) fait encore ses preuves lorsque les occupantes de la maison viennent nous offrir le the avec quelques biscuits alors que nous pataugeons dans la boue. Je mange mon biscuit sur le rebord de la fenetre de la cuisine. Un enorme bateau de peche me fait face. La cote est pourtant a plusieurs centaines de metres…

In the street - Ishinomaki Devastation - Ishinomaki Devastation bis - Ishinomaki Take a break - Ishinomaki

Vers 16h nous arretons de travailler pour aller laver nos outils et nous debarbouiller. Une ONG japonaise pompe l’eau de la riviere qui traverse Ishinomaki et la recueille dans de grands reservoirs. Cette eau n’est pas potable et les habitants sont ravitailles en eau par l’armee, que ce soit pour les besoins alimentaires comme pour les besoins d’hygiene. Quant a l’electricite, elle est toujours coupee…  A 17h une voiture vient nous chercher pour nous ramener au campus. La nuit tombe et le froid se fait penetrant a travers nos multiples couches de vetements. Il est temps de preparer la soupe du soir, tache commune que nous prenons plaisir a effectuer. Il s’agira tout au long de la semaine d’un rituel quotidien qui nous permet de nous rapprocher entre membres de l’equipe. Yudai doit lui aller faire son rapport de la journee et prendre ses ordres pour le lendemain. Meme si le travail est physiquement exigeant, nous demandons a participer a cette tache pour la semaine entiere. Nous sommes directement au contact des habitants et partageons leur quotidien en faisant le maximum pour l’ameliorer.

Ravitaillement en eau par l'armee - Ishinomaki  Lavage de fin de journee - Ishinomaki

La premiere nuit en tente est severe. La temperature tombe largement en dessous des zero degres et il est difficile de dormir malgre sac de couchage, couverture et vetements cumules.

Reveil entre 6h30 et 7h le lendemain. Rob s’occupe de faire chauffer le the sur le camping-gaz place au centre de deux pneus empiles. Le vent est cinglant et faire chauffer l’eau du the s’avere un defi que seul un anglais peut relever dans de telles conditions. Courte reunion a 8h avec assignation des taches pour chaque equipe. On nous renvoie patauger dans la boue, parfait. Depart a 8h30. Cette fois nous travaillons avec quatre ou cinq autres equipes au nettoyage d’un parking, futur QG in situ de Peace Boat. A la fin de la journee, nous ne comptons plus les sacs de boue. Une autre journee s’ecoule, il fait toujours aussi froid mais la neige ne s’invite pas encore.

Muddy parking - Ishinomaki  Ca en fait des sacs de boue! - Ishinomaki

Le troisieme jour, nous nettoyons un cafe et un entrepot de bouteilles. La boue est humide et difficile a deplacer. Macabre decouverte puisque nous trouvons un chat mort enfonce sous plusieurs epaisseurs de boue. Des rumeurs parlent de groupes ayant decouvert des corps humains. Evidemment, c’est une possibilite qui nous guette avec plus de 10 000 disparus dans la region… En fin de journee, j’interroge la proprietaire du cafe sur la vie sur place au quotidien. Les gens ne sont revenus que depuis peu de temps apres avoir ete evacues il y a trois semaines de ca. La plupart habite aux premiers etages des maisons puisque vivre au rez-de-chaussee est evidemment impossible. Toutes ces personnes aujourd’hui revenues sur le lieu du desastre sont des survivants. Au moment du tsunami ils se trouvaient tous a l’etage de leur maison ou loin du tsunami. Ceux presents au rez-de-chaussee n’ont pas eu leur chance et ont ete emportes par les flots.

Paradoxalement, alors que nous nous attendions tous a etre submerges par la detresse des habitants d’Ishinomaki, nous sommes au contraire surpris par leur calme, leurs sourires, leur chaleur et leur hospitalite. Il ne se passe pas un jour sans que quelqu’un nous offre un cafe, un the, un sandwich ou une bouteille de sake trouvee dans la boue. De meme, alors que les jours passent, notre equipe se soude, notre campement ressemble de plus en plus a un camp de gitans avec musique, soupe commune, discussions animees. Est-ce mal de passer de bons moments au beau milieu d’un desastre qui a coute la vie a des milliers de personnes ? Je ne saurais le dire, mais je me plais a imaginer que notre bonne humeur et notre empathie sont contagieuses.

Gipsy camp - Ishinomaki

Nouvelle demonstration d’hospitalite le quatrieme jour alors que nous sommes invites a partager le repas des femmes du quartier de Chobu. Au menu, rumis (nouilles chinoises) et boulettes de riz.  Le climat se fait plus clement et la temperature augmente. Nous en profitons pour prendre une pause a l’ombre d’un paquebot echoue a cote du restaurant que nous debarrassons de sa boue. Le proprietaire, desillusionne sur l’avenir de son commerce en debut de journee reprend espoir la journee suivante lorsque nous achevons de nettoyer la derniere piece du restaurant. Cela met un peu de baume a nos petits cœurs de volontaires ! A la question : « Qu’allez vous faire dans les prochaines semaines ? » La reponse de l’homme est simple : « Nettoyer… » Et apres, tout dependra des moyens mis en œuvre par le gouvernement japonais pour relancer l’economie de la ville.

Lunch in Chobu - Ishinomaki  Big mess... - Ishinomaki

Le jeudi, c’est notre dernier jour en ville puisqu’on doit nous assigner a la distribution de nourriture dans un camp de refugies le vendredi. Nous fetons ca en nettoyant un magasin de porcelaine avec la delicate tache de sauver un maximum des precieuses ceramiques prisonnieres de la boue. Le proprietaire pourra toujours revendre certains sets s’ils sont complets. A propos, qu’est ce qui est plus devastateur qu’un elephant dans un magasin de porcelaine ? Un tsunami dans un magasin de porcelaine ! Bonne reponse Gisele, vous gagnez le droit de venir chercher votre toute nouvelle paire de bottes anti-tsunami a la centrale nucleaire de Fukushima (frais de transport et combinaison antiradiations non inclus).

Saved from the mud... - Ishinomaki  Volunteers at work - Ishinomaki  Exhausted - Ishinomaki

Le jeudi soir, nous decidons de nous offrir une cure de relaxation dans un onsen, un traditionnel bain japonais alimente a l’eau de source de montagne. Apres six jours de dur labeur sans prendre une douche, j’accueille mon premier onsen avec delectation.  Nous sommes les seuls presents dans l’onsen et nous nous devetons rapidement avant de passer dans la premiere salle, celle de la douche et du premier bain a l’eau tiede. La seconde salle est celle du bain a l’eau chaude. Ce bain est generalement situe a l’exterieur, au milieu d’un decor sauvage enchanteur pour les onsen les plus jolis. Apres ce moment delicieux passe a nous laver et a detendre nos corps dans l’eau chaude, nous faisons un arret dans un restaurant chinois. Et oui, meme au Japon on peut manger chinois ! Cette partie de la ville est intacte et le contraste est saisissant avec les rues et maisons boueuses que nous avons visitees jusqu'à maintenant. Le repas est aussi enchanteur que l’onsen.

Alors que nous payons l’addition en nous pamant d’extase apres cette divine soiree, l’impensable se produit : un tremblement de terre ! Toute la semaine nous avons senti de petites secousses mais nous n’etions pas prepares a un tel tremblement. D’abord lent, le mouvement vertical de la terre se fait peu a peu rapide. Les objets commencent a tomber des etageres et la cuisine du restaurant devient un vrai tintamarre. Trois de mes compagnons s’enfuient par la porte d’entree, un autre plonge sous la table et le dernier se colle au mur. Je ne sais quoi faire. Mecaniquement, je finis la biere que j’ai dans la main. C’eut ete comique si le tremblement n’avait pas ete aussi fort… Enfin, Yudai m’agrippe par le bras et me fait signe de me coller au mur pres de lui. L’electricite se coupe tandis que le tremblement diminue d’intensite. Nous reprenons nos esprits et nous dirigeons vers notre vehicule. La radio nous apprend que nous venons d’essuyer un tremblement de terre de moment de magnitude 7.4 et que la zone est maintenant menacee par un tsunami qui pourrait atteindre 5 m de haut. Nous decidons de regagner le campus qui avait ete epargne par le premier tsunami du 11 mars. Sur place, tout le monde est reveille. Les gens sont diriges vers le dernier etage de l’universite ou ils attendent patiemment la suite. Apres une heure d’attente, l’alerte au tsunami passe. Il est 1h du matin, nous pouvons finalement aller dormir.

Les evenements de cette nuit-la nous empeche de travailler le lendemain. Il faut verifier si le tremblement de terre n’a pas occasionne d’autres degats et faire l’etat des lieux des zones sinistrees. Nous en profitons pour organiser un double match de foot « Japon-Reste du Monde ». Les rapides nippons nous infligent deux cuisantes defaites mais cela ne nous empeche pas de profiter de ce temps libre et de nous faire de nouveaux amis. Nous organisons une derniere soiree avec soupe et whisky pour ceux qui le souhaitent et une petite foule s’amasse rapidement pres de nos tentes. Je manque encore de vocabulaire pour pretendre flirter correctement avec les jolies volontaires japonaises. Mes compagnons se chargent du boulot…

Le samedi matin, la pluie s’invite pour la premiere fois au moment de remballer les tentes. Une derniere reunion afin d’accueillir et d’orienter les nouveaux volontaires de Peace Boat et nous prenons le bus du retour vers midi. Apres 7h de voyage nous sommes de nouveau a Tokyo. Rues propres, restaurants garnis de nourriture, traffic surcharge, japonais et japonaises a l’œil terne, fourbus par le travail, nous replongeons en un instant dans le quotidien de la capitale. Nous nous quittons un a un avec le sentiment de dire au revoir a de vieux amis et je rentre quant a moi a Chigasaki, rejoindre la famille Saito.

Pensee pour tous ces gens encore a Ishinomaki dont la vie au cœur du desastre ne se limite pas a une semaine de bonnes oeuvres. La reconstruction de la ville prendra du temps et il faudra plus que la bonne volonte de quelques volontaires pour la mener a bien.

Mario's fall - Ishinomaki

Commentaires (3)

1. Popo 12/04/2011

Ahhh!
de bonnes nouvelles de toi... moins des villes dévastés..
Prend soin des Japonaises qui en ont besoin surtout!
Et continue ton petit bonhomme de chemin...
Toujours heureux de lire ta prose mélodieuse dans laquelle tu me subjugues en plaçant des mots tel vacuité, ébahissement ou joncher... je te donne un prix du courage mais également un prix littéraire... Bravo!
Big up...

2. Cécile 13/04/2011

Et bien! Quel courage de la part des bénévoles bien sur mais aussi de la part de ces familles qui subissent un tel désastre et essaient de continuer à vivre "normalement" dirais-je...
Encore une fois tu t'es retrouvé dans des situations riches en émotions, qui doivent donner de sacrées leçons de vie...
Que vas-tu faire maintenant? Vas tu attendre un peu là bas pour retourner faire une semaine de bénévolat? Tu vas peut être en profiter pour faire un tour sur les différentes iles? As-tu déjà en perspective une date pour ta prochaine escale (après Japon je veux dire)?
Continue à t'enrichir des différents états d'esprits, cultures et traditions que tu peux rencontrer!!!
Des bises
Cécile.
PS: je retourne bosser sur Paris... :o)

3. Laurent (site web) 30/04/2011

Merci Jonathan, d'avoir été volontaire et d'avoir pu donner un coup de main, je me sens soulager, c'est bête de savoir un compatriote pouvant aider alors que je suis cloincé e nmétropole.
J'ai honte de ne pouvoir aider les japonais après y avoir été si bien reçu pendant mes mois de voyages et de résidence là bas.
En un mot : MERCI pour eux, et pour moi, la solidarité n'a pas de frontière et tu en étais le trait d'union.
Laurent

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